Boire un verre d’eau de robinet tranquille ? Pas si sûr, l’Union européenne pourrait reporter des mesures clés contre des substances toxiques.
Boire un verre d’eau du robinet semble encore, pour beaucoup, un geste rassurant. Pourtant, sous cette clarté trompeuse, une réalité bien plus trouble s’infiltre silencieusement dans nos maisons, nos corps et nos habitudes. Et pendant que les toxines s’accumulent, l’Europe envisage de remettre à plus tard les mesures qui pourraient vraiment changer les choses. Repousser les décisions à 2039 ? C’est l’option que certains veulent encore défendre.
Un poison invisible qu’on laisse circuler
Derrière les portes closes de Bruxelles, un débat se prépare. Pas un simple échange technique sur des normes à ajuster, non. Une discussion qui pourrait déterminer si des substances comme les PFAS ou les résidus de médicaments continueront ou non à voyager librement dans nos tuyaux. Deux associations espagnoles — Hogar sin Tóxicos et Ecologistas en Acción — ont décidé de monter au créneau. Elles refusent que la question de la qualité de l’eau du robinet soit encore une fois repoussée à plus tard. Dans une lettre adressée au ministère de la Transition écologique, elles dénoncent une proposition qui repousserait la régulation de ces produits chimiques à… 2039.
Carlos de Prada, qui pilote l’initiative Hogar sin Tóxicos, résume le problème avec une franchise salutaire : certains polluants traversent les systèmes de purification comme si de rien n’était. Les stations d’épuration ne les arrêtent pas. Ils passent, s’infiltrent, et finissent dans nos verres. Selon lui, l’absence de normes claires permet aux États de ne rien faire. Et, pendant ce temps, les industries continuent de relâcher leurs déchets dans les cours d’eau. Sans restriction, sans conséquence, sans réelle pression pour changer.
L’Europe en retard sur la protection de l’eau du robinet
Ce n’est pas comme si ces produits étaient nouveaux. Ils sont là depuis longtemps. Mais jusqu’à présent, personne n’a vraiment pris la mesure du danger. Koldo Hernández, coordinateur de la question de l’eau chez Ecologistas en Acción, évoque un déni collectif. On sait, mais on n’agit pas. Reporter l’entrée en vigueur des contrôles, c’est continuer à faire semblant que tout va bien.
Les études sont pourtant limpides. Les PFAS, ou « polluants éternels », sont stables, persistants et s’accumulent dans nos corps. Ils affaiblissent le système immunitaire. Aussi, ils perturbent la croissance des enfants et abîment le foie. Ils sont aussi liés à des cancers et des troubles de la fertilité. Les dérèglements thyroïdiens ne sont pas en reste. Les effets sur la santé sont bien réels, même à très faibles doses. Selon l’Agence européenne de l’environnement, seuls 33 % des eaux de surface présentent aujourd’hui un bon état chimique. Les deux tiers restants ? Pollués. Et le pire, on le sait depuis longtemps.
La Commission européenne a proposé d’ajouter de nouveaux contaminants à la liste des substances à surveiller en 2022. Pesticides, PFAS, résidus pharmaceutiques… Un premier pas. Mais cette réforme est en train de se heurter à une résistance politique qui préfère repousser, ajourner, décaler. Le résultat ? Une eau du robinet toujours plus incertaine. Une régulation toujours à la traîne.
Un risque sanitaire ignoré pour éviter d’affronter les pollueurs
Les gouvernements le savent. Agir, c’est confronter les industries, obliger à des investissements, forcer à des adaptations. Alors, certains préfèrent le silence. Et pendant ce temps, les chiffres continuent de grimper. Un rapport du Centre Helmholtz a recensé plus de 500 substances dangereuses dans les rivières européennes. Dans près de la moitié des échantillons, on trouvait entre 50 et 100 produits chimiques différents. On ne parle plus ici de traces isolées, mais d’un cocktail quotidien qui s’accumule, lentement, dans l’eau, dans les sols, dans nos organismes.
Le vrai problème, c’est le manque de mise à jour. Les listes de contaminants prioritaires devraient être révisées tous les six ans. La dernière en date pour l’eau de surface remonte à 2013. Pour les nappes souterraines, c’était 2014. Depuis, rien. Alors que de nouvelles molécules apparaissent, que la recherche avance, les institutions restent figées.
Carlos de Prada insiste : il faut élargir cette liste, intégrer les nouvelles menaces, et renforcer les contrôles. Pas dans dix ans, maintenant. L’eau du robinet, ce n’est pas juste une question de confort. C’est un indicateur de ce qu’on accepte de laisser entrer en nous sans même y penser. Et tant que l’Europe continuera à tergiverser, elle laissera la porte grande ouverte à des risques évitables. À chacun de décider s’il préfère fermer les yeux, ou demander des comptes.