Après dix ans de vie monastique, Jean-Baptiste Gélébart réclame aujourd’hui son dû, défiant l’ordre des Carmes devant la justice.
L’institution se crispe
Jean-Baptiste Gélébart a 35 ans, un regard droit et une voix calme. Il a passé plus de dix ans au sein de l’ordre des Carmes déchaux, dans le couvent d’Avon, entre prières, silence et travaux domestiques. Une existence rythmée par les offices et la méditation, qu’il a quittée en juin 2024, après une longue descente intérieure. Le corps n’en pouvait plus, l’esprit s’effondrait aussi. Lui-même parle de maladies, de blessures anciennes, d’un rythme devenu intenable. Après avoir tout quitté, il a demandé de l’aide. Juste un coup de main pour redémarrer. Et surtout, la restitution des 25 000 euros qu’il avait donnés en entrant, au nom de son vœu de pauvreté. L’ordre a refusé.
Dans les jours qui ont suivi son départ, Jean-Baptiste a été admis dans une clinique psychiatrique. Il avait besoin de souffler. Mettre de la distance, comprendre ce qui s’était passé. Reprendre pied. Il cherchait un logement, un boulot, une raison d’avancer. Il pensait pouvoir discuter et a tenté. Mais face à une fin de non-recevoir, il a décidé de porter l’affaire en justice. Aujourd’hui, l’ex-religieux réclame son héritage devant le tribunal civil. Il demande aussi des réparations pour ce qu’il décrit comme des vi*lences psychologiques subies durant la dernière année. Notamment après l’arrivée d’un nouveau supérieur, moins ouvert, moins à l’écoute.
Un ex-religieux réclame son héritage et ouvre une brèche
L’affaire aurait pu rester discrète, réglée en silence comme tant d’autres. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Le supérieur actuel, frère Antoine-Marie Leduc, assure avoir voulu trouver un terrain d’entente. Jean-Baptiste, lui, dit avoir tout tenté. Ce qui est certain, les deux camps se renvoient la responsabilité de l’échec du dialogue. Le fond du désaccord tient à une règle interne. L’ancien frère affirme qu’il était entendu, au moment de son engagement définitif, que l’héritage versé pourrait lui être restitué s’il quittait la communauté. L’ordre affirme que cette règle ne vaut que pour les novices. Pas pour ceux qui, comme lui, avaient déjà prêté serment depuis plusieurs années.
Mais l’avocat de Jean-Baptiste s’appuie sur les normes internes des Carmes : selon lui, ces textes reconnaissent le principe de restitution. Et c’est ce point que la justice devra trancher. En attendant, l’ex-religieux réclame son héritage, et la somme s’alourdit. D’un simple montant initial de 25 000 euros, le dossier a gonflé à 87 000, entre frais, dommages demandés et intérêts. De son côté, l’ancien frère tente de reconstruire une vie. Il travaille désormais dans la fonction publique, tente des concours. Il apprend à respirer dans ce nouveau quotidien sans règle imposée, sans prière collective, sans silence forcé.
Entre foi brisée et nouvelle liberté
Au-delà des chiffres, des règles, des avocats, c’est un homme qui a changé. Un homme qui croyait, qui priait, qui appartenait à un ordre, et qui s’en est détaché. Jean-Baptiste ne pratique plus. Il ne croit plus, ou en tout cas plus comme avant. En effet, il parle d’un monde qu’il a aimé, mais qui l’a blessé. Il ne regrette pas tout. Il sait ce que ces années lui ont apporté, mais il sait aussi ce qu’elles lui ont coûté. Et quand on lui demande s’il recommanderait à un proche de rejoindre un ordre religieux, il répond non. Pas dans l’état actuel des choses.
Face à lui, l’ordre des Carmes se dit peiné par la tournure publique des événements. Ils regrettent l’exposition, affirment être restés ouverts au dialogue. Peut-être. Mais l’ex-religieux réclame son héritage parce qu’il veut tourner la page, et qu’il ne supporte plus que cette partie de sa vie lui échappe. Il veut refermer le chapitre avec justice. Pas avec des promesses floues. L’affaire, désormais, appartient aux juges. Et quel que soit le verdict, elle laisse dans son sillage une question lourde : que se passe-t-il vraiment quand on quitte la vie religieuse après y avoir tout donné ? Pas seulement son argent. Mais sa foi, sa confiance, sa jeunesse.